9/11 loop est un vieux projet datant de 2009 que j’ai remis en route. Il s’agit d’un bot Twitter qui diffuse les dépêches émises par l’AFP le 11 septembre 2001, en temps réel « décalé » (c’est à dire à l’heure exacte à laquelle elles avaient été publiées).
C’est un mardi de Septembre banal. J’ai 17 ans, je vais bientôt commencer mes études supérieures, mais pour l’heure je suis encore en vacances. J’allume la télé pour jouer à Final Fantasy IX sur Playstation. TF1 (la télé s’allumait toujours sur la première chaine), volutes de fumée recouvrant la ville comme à la fin d’Akira, moment d’incrédulité. Pour ajouter à l’incongruité de l’ensemble, un extrait de Star Wars est diffusé à l’antenne par erreur… Et puis il y a ces images, obsédantes, en boucle, des avions filant vers le les tours, image qui perdra un peu plus de sa réalité à chacune de ses répétitions.
Répétition de l’image, mais également de ce sentiment de déjà-vu, par les références à la fiction ou à l’Histoire que l’on va très vite associer à cet évènement. (j’ai d’ailleurs toujours pour vague projet de compiler toutes les reconstitutions en 3d du World Trade Center au cinéma).
Le rôle de l’image est hautement ambigu. Car en même temps qu’elle exalte l’événement, elle le prend en otage. Elle joue comme multiplication à l’infini, et en même temps comme diversion et neutralisation. […] Qu’en est-il alors de l’événement réel, si partout l’image, la fiction, le virtuel perfusent dans la réalité ?
( Jean Baudrillard dans L’esprit du terrorisme, texte brillant publié quelques semaines après les attentats. )
Dans Différence et répétition, Deleuze cite Hume pour étayer sa thèse : La répétition ne change rien dans l’objet qui se répète, mais elle change quelque chose dans l’esprit qui la contemple.
Peut-être que répéter un évènement consciencieusement, sa narration par les médias, aux limites de la simulation comme dans 9/11 loop, est une façon de se ré-approprier l’inconcevable…
Pour moi qui avait longtemps biberonné à la SF pessimiste et au post-apo, c’était de le début de la troisième guerre mondiale. On allait tous être enrôlés de force pour combattre dans une guerre absurde, entassés dans une caserne semblable à celle à côté de mon lycée . Je ne finirais jamais Final Fantasy IX et je ne commencerais jamais mes études. Et les théoriciens de la « fin de l’Histoire » s’étaient décidément bien plantés…
Evidemment, ce ne fut pas la fin du monde, mais un glissement subtil et sournois dans une nouvelle ère. Je suis resté longtemps marqué par cet évènement à la dramaturgie parfaite, réunissant l’unité de temps, de lieu et d’action, tout comme je suis fasciné par cet instant de basculement à la télévision entre les programmes aseptisés, et la réalité brutale.
Par ailleurs, j’aime beaucoup l’idée, dans les histoires paranormales et autres légendes urbaines qu’un évènement marquant, traumatisant, laisserait une trace, et serait condamné à être répété sous forme d’écho, ou d’apparition brumeuse. Je me demande si mon intérêt pour la boucle, la répétition du temps et que j’ai exploré dans d’autres projets n’est pas né devant ce funeste évènement ?