Durant le Retro (No) Future Games Festival (qui s’est avéré être un des plus chouettes festival dédié au jeu vidéo en France), j’ai présenté une nouvelle version de La rhétorique peut casser des briques, qui se jouait désormais avec un téléphone (le fameux Socotel s63, merveille de design) modifié pour être utilisé comme un microphone afin d’interagir avec le jeu.
J’avais également introduit une variante, qui faisait que le joueur ne pouvait employer qu’une seule fois chaque commande, l’obligeant à user de toutes les ressources de la langue (noms d’hommes politique, vocabulaire marin, synonymes, antonyme, etc). Les commandes étaient inscrites sur un carnet d’adresse pour ceux qui souhaitaient tricher. L’idée m’est venu d’un souvenir d’enfance ; j’avais un ami qui notait soigneusement toutes les astuces de jeux vidéo dans un carnet par ordre alphabétique.
Je crois que La rhétorique peut casser des briques est le premier et seul jeu vidéo à se jouer avec un téléphone et un carnet d’adresse (c’est autre chose que vos Dual Shock 4, hein?).
Lorsque j’étais encore jeune, fougueux et étudiant (vers 2006), je travaillais dans un entrepôt logistique de la société Easydis (filiale du groupe Casino) en tant que préparateur de commande. Un préparateur de commande, c’est un(e) type(sse) qui met des produits sur des palettes en fonction des besoins, palettes qui seront ensuite envoyés vers les différents supermarchés. Du travail d’usine, en somme (je dis ça sans mépris, c’est juste pour vous situer l’aspect chiant et répétitif de cette activité). Chez Easydis, nous étions équipés de micro-casques et d’un petit boitier qui valait une fortune. Guidés par une voix féminine et synthétique d’origine suédoise (tout comme la société qui la fabriquait) nous indiquant les actions à effectuer, nous devions valider chacun de nos gestes (poser un colis, par exemple) par une suite de chiffres énoncées à voix haute, (ce qui n’était pas une mince affaire avec la reconnaissance vocale défaillante) , et ce à longueur de journée.
Cette activité était bien sûr mentalement harassante, et il n’était pas rare que je rêve la nuit de cette voix qui déblatérait des suites de chiffres. Une armée de robots humains, téléguidés par un ordinateur avec une voix synthétique, ça existe déjà et surement pas très loin de chez vous !
Ce système électronique permettait également de connaître le rendement de chaque employé, une simple commande vocale donnant accès aux nombre de colis traité dans la journée sous forme de score (où quand la gamification devient un outil de stakhanovisme !) .
Cette expérience m’a rendu plutôt sceptique par la suite sur l’attrait de la reconnaissance vocale et m’a inspiré ce jeu ou les ratés d’une technologie devient un facteur de difficulté. La reconnaissance vocale, soit utiliser un ordinateur par la voix, est un fantasme technologique qui fut longtemps véhiculé par la Science Fiction. Désormais rendu possible, il se révèle pourtant décevant à l’usage, comme le montre les nombreux quiproquos et autres incompréhensions mutuelles induit par l’utilisation de Siri sur iPhone (et on n’a pas fini de se marrer avec les Google Glass).
Dans la relation que l’on entretient avec une machine, résulte souvent une incompréhension avec celle ci, nous obligeant bien souvent à parler son langage, à se conformer à sa logique, bref à trouver un juste milieu (d’ou l’importance du design d’interface! ) .
Quand au titre du jeu, il fait bien évidemment référence au fameux film Situationniste de 1973 de René Viénet, « La dialectique peut elle casser des briques ? » .